Le président Bush néglige la lutte contre le réchauffement climatique. Mais le business, lui, « verdit » : les profits de demain sont dans le développement durable
De notre correspondant aux Etats-Unis
Etre salué par Bono devant 20 000 fans en délire, voilà qui n'arrive pas souvent aux businessmen milliardaires. C'est pourtant ce qui s'est passé à l'Oakland Arena, quand le chanteur de U 2 a lancé au public : « Je veux remercier... John Doerr. » La plupart des ados présents ont dû se demander qui était ce John Machin. Les autres ont souri : Doerr, le venture capitalist le plus puissant de la Silicon Valley, canonisé par une pop star ! Belle consécration pour l'icône de la révolution écolo qui enfièvre la Silicon Valley. Kleiner Perkins, son entreprise de capitalrisque, a investi 200 millions de dollars dans une quinzaine de start-up de clean tech, ces technologies propres qui, prophétise Doerr, « représentent sans doute l'opportunité économique la plus grande du XXI e siècle ».
Outrancier ? Cherchez dans la presse américaine, vous n'entendrez presque jamais parler de « bulle verte ». Le terme évoque une comparaison avec la bulle internet qui laisse les Américains sceptiques. Oui, les capitalistes se ruent sur des embryons de sociétés qui ne feront pas de profits avant des années, à supposer qu'elles survivent. Mais l'enthousiasme pour le clean tech n'a rien d'une mode passagère : c'est toute l'Amérique qui s'est prise de passion pour la lutte contre le réchauffement de la planète. Au Congrès, plus de 12 propositions de lois sont en discussion ; dans les Etats, plus de 300. A l'Ouest, Schwarzenegger a pris la tête de la croisade en signant une « loi sur les solutions au réchauffement de la planète » qui prévoit de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020, et de 80 % d'ici à 2050. A l'Est, Michael Bloomberg veut faire de sa ville de New York une ville exemplaire, tandis que les Etats de la Nouvelle-Angleterre se sont eux aussi fixé des objectifs de réduction ambitieux.
Dans les entreprises, la compétition est engagée pour décrocher la timbale du groupe le plus vert. Certains groupes, comme General Electric, sont encore loin d'avoir accordé leurs pratiques avec leurs beaux discours. Mais d'autres ont pris le taureau par les cornes. Ray Anderson, le PDG d'Interface, géant mondial de la moquette, a transformé de fond en comble « une compagnie qui était tellement gourmande en produits pétroliers qu'on aurait pu la considérer comme faisant partie de l'industrie chimique », dit-il. Après onze ans d'efforts, Interface a réduit de 56 % ses émissions de gaz à effet de serre, tandis que la consommation d'eau a diminué des deux tiers. Son objectif : un impact nul sur l'environnement d'ici à 2020. Autrement dit, « ne rien prendre à la Terre qui ne soit rapidement et naturellement renouvelable, et ne pas endommager la biosphère » . Cerise sur le gâteau, la croisade écolo d'Interface a été« incroyablement bénéfique sur le plan des affaires », confie Anderson, faisant écho à ce que prédit Schwarzenegger : la Californie, sixième économie mondiale, régnera demain sur les technologies propres comme elle domine aujourd'hui l'entertainment ou le high-tech. Derrière cette vogue écolo qui balaie l'Amérique et remplit les numéros spéciaux des magazines couve un débat qui promet d'être animé. Il ne s'agit plus du débat sur la réalité du global warming : Bush, qui a fait perdre huit ans au pays en niant la réalité du phénomène, n'a plus aucune crédibilité sur la question, et sa demi-conversion sur le tard ne suscite que les ricanements. Non, le vrai bras de fer se joue entre ceux qui préconisent une solution technologique, sans effort exagéré de la part de l'Américain moyen, et ceux qui crient à l'urgence et à la nécessité de réformer en profondeur une société de gaspillage. Schwarzie, le VRP du green tech, se situe plutôt dans le premier camp ; Gore, le « Goracle » qui sonne le tocsin, dans le second. Il a qualifié de « disgrâce déguisée en succès » le sommet du G 8, et il juge inadéquats les textes en discussion au Congrès si l'on veut réduire spectaculairement les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050.
Les dernières statistiques lui donnent raison : la consommation d'essence ( 541 milliards de litres !), de charbon et d'électricité continuera à augmenter de 1 % à 2 % cette année aux Etats-Unis. Le prix du litre de super s'est envolé, le pays dépense 1, 25 milliard de dollars chaque jour pour faire le plein, trois fois plus qu'il y a cinq ans ; mais malgré cela, les conducteurs avalent 8 % de kilomètres de plus qu'il y a cinq ans. Al Gore peut reprendre son bâton de pèlerin - l'Amérique est très, très loin du compte.
Philippe Boulet-Gercourt
Le Nouvel Observateur
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